« L’Art est une blessure devenue Lumière » Georges Braque

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mercredi 5 octobre 2011

(55) Rates et Souris


Comme chacun sait, la rate est la femelle du rat, la souris celle de l’homme. Comparaison n’est pas raison, mais tout de même ...
oui, je sais ...

       Quand une rate en rut jette son dévolu sur quelque beau rat des champs, tout excitée elle s’en va immédiatement battre la campagne à la recherche du site idoine* où elle pourra bâtir la tanière de ses rêves pour y épancher son cœur avec l’heureux élu, fonder une famille et laisser exulter son corps à l’abri des regards indiscrets et jaloux. Aussitôt qu’elle a trouvé terrain à son goût, demoiselle-rate y amène le fiancé et, le regardant droit dans les yeux, donne elle-même le premier coup de pioche-patte à l’endroit précis qu’elle a choisi ; puis elle se recule, cédant la place au ballot* qu’elle toise* avec autorité. Ce dernier se retrousse alors les manches et, sous l’œil vigilant et énamouré de sa « future », creuse, creuse, creuse ... Quand notre Le Corbusier* des galeries souterraines a fini de consolider son œuvre, ils s’y engouffrent ensemble ; et la lune de miel peut enfin commencer, Juliette ayant obtenu de Romeo la seule preuve d’amour qui vaille pour une rate, sa maison.
Telle est la coutume chez ces rongeurs, je vous jure que c’est vrai ! Les éthologues* affirment que les muridés* ont ça dans leur ADN depuis la nuit des temps ; les femelles l’exigent et les mâles obtempèrent sans discussion car, fornicateurs* impénitents devant l’éternel, ils savent que, sans cela, aucune rate « sérieuse » n’accordera le moindre câlin ...

« Pourquoi nous raconte-t-il tout ça ? » vous interrogez-vous incrédules, consternés ou goguenards* ...
      
       Il y a quelques jours, après une disparition de près de 3 décennies, j’ai croisé mon vieux copain A.Z., radieux, au bras de sa femme F.Z., rayonnante. A l’évidence, leur couple avait traversé victorieusement les vicissitudes du temps. Or, il se trouve que la dernière fois que je l'avais vu, c’était dans des circonstances plutôt troublées ... Voici.

        S’étranglant littéralement de rage et d’indignation, dans un état second, ce gentleman habituellement calme et policé  avait déboulé chez moi sans prévenir, en pleine nuit. Objet de cette impressionnante intrusion ? Me confier que sa jeune épouse F.Z. exigeait qu’il lui fît donation, par-devant notaire, de 50% de leur villa, propriété pour laquelle lui, et lui seul, avait endossé la charge d’un lourd crédit bancaire à long terme ! Surpris par la requête inattendue de sa ravissante moitié, révolté par son indélicatesse, écœuré par sa cupidité, offusqué de tant d’indécence et blessé dans son amour propre de coq qui se croyait dupé, il avait tenté de me faire partager sa colère, fulminant pendant plusieurs heures contre l’engeance féminine en général et, en particulier, contre la beauté « soi-disant amoureuse et désintéressée » avec laquelle il s’était « naïvement fourvoyé » 3 ans auparavant ... 
Son état faisait peine à voir et ses vitupérations lui faisaient friser l’apoplexie*.
Me sommant de l’assister dans l’immédiate et irrévocable procédure de leur divorce, il oubliait - ou faisait mine d’oublier - que « la criminelle » était aussi ma copine, et que je n’obtempèrerais certainement pas à son diktat*.


Evidemment, aucun des nombreux arguments que j’avais avancés, ni aucun des exemples (pourtant probants) auxquels que je m’étais référé, n’avait paru l’apaiser un tant soit peu ; et il avait continué d’écumer et de vociférer jusqu’à l’aube, m’accusant même de prendre contre lui, et comme toujours, « le parti de sa salope de pétasse répugnante femme » !

Vers potron-minet*, épuisé par sa rage imbécile, sur le point de renoncer, commençant même à me résigner à l’hypothèse loufoque de leur séparation, j’avais été traversé par une fulgurance* en me souvenant d’un documentaire animalier visionné quelques semaines auparavant. Et c’est ainsi qu’in extremis*, pareil aux ivrognes éructant ces vérités définitives dont ils ont le secret, j’avais servi à mon A.Z. médusé ... cette histoire de rates et de tanières ; puis, dans un effort désespéré pour émoustiller son bon sens et le faire sourire, à demi somnolent, cherchant pitoyablement un ultime effet de manche, j’avais fait mine de me fâcher en hurlant : « Mais nom de Dieu, se peut-il qu’un type prétendument intelligent soit plus con qu’un rat  ?! » ... Et l'interro-exclamation shakespearienne avait produit l’effet magique d’un véritable ko intellectuel. Sonné, A.Z. s’était écroulé et endormi, quasiment dans mes bras, sur mon grand lit de célibataire davantage habitué à accueillir des couples plus orthodoxes.

Les dernières paroles qu’A.Z avait indistinctement bougonnées avaient absous l’épouse sacrilège au bénéfice du doute (qu’il s’accordait confortablement à lui-même) : « Puisqu'un même besoin de sécurité semblait tenailler toutes les femelles des engeances mammifères, alors peut-être la requête exprimée par sa belle F.Z ne procédait-elle que de cette légitime angoisse fondamentale, et non du matérialisme sordide et avide dont il s'était hâté de l'accuser injustement  ... » Amen !

       A l’instar des rates, nos humaines compagnes, sans doute supérieures peut-être égales en intelligence et probablement certainement supérieures en opportunisme, nous harcèlent parfois avec acharnement pour se faire offrir leur assurance-divorce & décès « nid d’amour » : pourquoi s’en offusquer ? D’autant qu’elles ont l’élégance généralement l'élégance de ne présenter l’addition qu’après coup, alors que les rongeuses ont l’indélicatesse de se faire payer d’avance ! Simple question de franchise ? Perhaps ... Mais quoi qu’il en soit, les fils d’Adam n’en sortent pas grandis : de tous les mâles à sang chaud, eux seuls sont assez crétins pour payer ... même post-coïtum*.



P.S : exceptionnellement, le courrier féminin répondant à ce billet ne sera même pas décacheté

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auteur : Camal ELMiLi HAMAYED
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petit dico rapide pour les jeunes


  • ·        idoine : qui convient bien
  • ·        ballot : pas très malin
  • ·        toiser : regarder avec condescendance, mépris ou arrogance
  • ·        Le Corbusier : célébrissime architecte-urbaniste du 20ème siècle
  • ·        éthologie : science étudiant le comportement des animaux
  • ·        muridés : famille de rongeurs à laquelle appartient le rat
  • ·    fornicateur : qui s'adonne assidûment au péché de la chair 
  • -    goguenard, e : qui plaisante en se moquant
  • ·        apoplexie : coma soudain provoqué par une lésion cérébrale
  • ·        diktat : ordre comminatoire, exigence intransigeante
  • ·        potron-minet : très tôt le matin
  • ·        fulgurance : idée, pensée fulgurante
  • ·        in extremis : au tout dernier moment
  • ·        post-coïtum : après l’accouplement

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