« L’Art est une blessure devenue Lumière » Georges Braque

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dimanche 16 octobre 2011

(57) proverbes marocains – 3ème salve –

 
 Ces divagations approximatives autour de la sagesse populaire marocaine sont la suite des deux articles  précédemment publiés sous les numéros 21 & 32. Les lecteurs pressés, ou en recherche de citations concises, trouveront sur internet une multitude de blogs fast-foods répondant à l’entrée « proverbes marocains » : qu’ils y aillent !


1       incapable mais fier !

la ktaf tahemmalt, la wjeh es3aya

Textuellement : « ni épaules de débardeur* (portefaix*), ni front à mendier »

Je tiens ce dicton d’un copain un peu lourdaud, médecin de son métier, et qui se moquait volontiers de lui-même en me confiant ses misères. Appelons-le A.H.


Appartenant à une famille connue, issu d’un père qui a légué son nom à une grande avenue de leur ville natale, entouré de gens importants et richissimes, A.H. était un jour tombé dans des difficultés matérielles de première classe ! Il n’osait pourtant pas « quémander » de l’aide.
Se rendant bien compte qu’il n’avait pas la carrure nécessaire pour se sortir seul du « merdier » où il pataugeait, il finit donc par s’en ouvrir à sa mère, laquelle le pressentait déjà, en souffrait et s’en inquiétait.
Armée de son féminin bon sens, cette dernière le rudoya quelque peu en le sommant* de solliciter le soutien de tel ou tel ami milliardaire, soulignant au passage que plusieurs de ces nababs* étaient « redevables à son défunt et illustre père de moult services bien plus significatifs » ... Mais notre cornichon se mit à pleurer en arguant qu’il ne pouvait pas tomber aussi bas !
Consternée et lucide, sa génitrice tourna donc les talons en marmonnant ce dicton sur un ton apitoyé. Ce qui signifiait : « mon pauvre bougre de rejeton, il n’a ni les épaules assez larges pour assumer son fardeau, ni l’humilité nécessaire pour solliciter de l’aide ».

Beaucoup de femmes l’emploient au premier degré pour se lamenter sur les piètres revenus d’un époux ou d’un fils paresseux, oisif ou physiquement faible. Mais pas seulement ...


2       les vieux ne doivent pas faire d’enfants !

« oulad echerraf, kay 3atrou fihoum  el 3azzaya »

Textuellement : « les enfants de vieux, on bute dessus quand on vient présenter ses condoléances »

J’avais un vieil oncle très digne ... qui se croyait plus vieux encore qu’il n’était. Sa deuxième et « relativement » jeune épouse voulait un enfant, lui n’en voulait pas, et il préféra divorcer et se retrouver seul plutôt que de se reproduire.
Osant à peine l’interpeller sur un sujet aussi intime, je me risquai à lui faire remarquer que le désir d’enfant exprimé par sa femme était naturel et légitime, beaucoup d’hommes plus âgés que lui n’ayant pas autant de scrupules à faire plaisir en procréant. Mais sa droiture et son pessimisme ne le lâchaient jamais ; il demeurait persuadé que, faire un enfant au-delà d’un certain âge, c’était engendrer délibérément un « futur très jeune orphelin ».
Aussi clôtura-t-il sèchement notre débat par ce dicton, lequel signifie donc : quand ces vieux pères indignes, égoïstes et irresponsables cassent leur pipe*, leurs orphelins sont encore si petits qu’on ne peut même pas les voir au milieu de la foule assistant aux obsèques, tout le monde butant sur eux et les piétinant.

Difficile de réfuter si fine observation !


3       vive la retraite !

« echlaghem kay khdem lel lehya, wel lehya kat khdem le chib, wel chib kay khdem le chitane » 

Textuellement : « les moustaches travaillent pour la barbe, la barbe travaille pour les cheveux blancs, et les cheveux blancs travaillent pour le diable »

Je devisais tranquillement avec A.L. un jeune campagnard berbère pauvre et plein de bon sens, quand se joignit à nous B.N., un autre berbère, octogénaire, rusé comme un vieux singe et très aisé. Ce dernier venait négocier avec moi l’achat d’une récolte d’olives sur pied. Un peu jaloux et moqueur, le premier fit mine de s’étonner que le second continuât de se tuer au boulot, malgré une fortune très confortable et un grand âge plus que canonique*. B.N. ne réagit nullement au quolibet* et, aussitôt l’affaire conclue avec moi, repartit sans états d’âme vers d’autres lucratives batailles.
A.L. se tourna alors vers moi, commentant plein de fiel* : « Il n’est pas loin de ses 100 ans, que cherche-t-il encore ? Au lieu de profiter du peu de jours qui lui restent à vivre, il continue de serrer les vis à ses enfants et de courir comme un dératé après le moindre sou ! » Esquissant sans conviction un semblant de réponse à cette attaque contre l’absent, je rétorquai mollement : « Ecoute, ce n’est peut-être pas seulement l’appât du gain qui le motive mais plutôt l’habitude d’être actif ; s’il s’arrêtait de bosser, il mourrait de dépérissement ». Mais notre freluquet* n’était pas du genre à s’en laisser conter aussi facilement ; piochant dans l’inépuisable sagesse « ethnique », il conclut ainsi : « Ce vieux grigou* doit se retirer et laisser travailler ses garçons en leur faisant confiance. Chez nous, on dit avec raison que la jeunesse (la moustache) travaille pour l’âge mûr (la barbe), que l’âge mûr travaille pour la vieillesse (les cheveux blancs), et que la vieillesse ne travaille que pour le diable (puisqu’au sortir de la vieillesse ne nous attendent que la mort et le diable).

Méditons cette ancestrale et lucide vision du contrat social ! ...


4       je veux goûter à tout  (-12)

« koulchi darettou el ma3za, bqalha ghir tkhewwer tremtha belgroun »

Textuellement : « la chèvre a déjà tout expérimenté, il ne lui manque plus qu’à tenter de se farfouiller le cul avec ses propres cornes ».

Ce délicieux quolibet* me ravit littéralement parce qu’il sied comme un gant à tellement de gens ! Il raille gentiment les personnes qui sont toujours partantes pour tout essayer, y compris ce qui parait hors de leur portée, ce qui ne leur est absolument pas destiné, ce qui les couvre de ridicule ou ce qui ne leur convient pas du tout. Car cette engeance ne doute apparemment de rien ; son sans-gêne et sa hardiesse la rendent même parfois sympathique et, si le ridicule ne tuait pas, nous devrions presque en être jaloux.
On y trouve de tout : de la vielle rombière* boudinée s’accoutrant de mini-jupes au nouveau riche analphabète qui ne comprend pas qu’on lui refuse un brevet de pilote d’avion alors qu’il est titulaire d’un permis mobylette ... en passant par la nonagénaire* qui passe ses nuits sur Meetic* ... la petite mendigote* qui écume les farfouilles* à la recherche d’une pitoyable contrefaçon de sac Vuitton* ... les purs arabophones qui s’évertuent à ne parler que leur sabir* de français ... le péquenot* encore tout crotté qui se verrait bien en maire d’une métropole ultra moderne ... le vieux crabe* épris d’une affriolante jeunotte* et qui se lance avec elle à la découverte des discothèques branchées ... les parents débiles qui se mettent à fumer des joints avec leurs rejetons en croyant donner dans le jeunisme et faire copain-copain avec eux ... les minets de la STAR’AC qui osent « Le Chant des Partisans* » ou insultent la mémoire de Léo Ferré en massacrant « Avec le Temps* » ... etc.etc.etc.

Exemple personnel vécu : j’étais jeune ; ma petite amie était une jolie minette de 23 ans et nous avions confirmé et payé une réservation pour une semaine de douceurs au CLUB MED ; elle tomba malade. Nous ravalâmes* notre malchance et elle fit gentiment son possible pour me convaincre d’y aller seul plutôt que de perdre bêtement notre argent. Ma « belle-mère » du moment, une quasi sexagénaire dotée de toutes ses dents, véritable cougar* « à l’ancienne », plus corsée encore que la moutarde du même nom, fit alors irruption dans la chambre et, sans même s’excuser d’avoir tout écouté derrière la porte, lâcha à sa fille médusée : « Ce serait trop stupide ! Il va s’ennuyer. Puisque ta nounou est là, elle prendra soin de toi, et je pourrais l’accompagner pour lui tenir compagnie ... ça me permettra d’ailleurs de découvrir ce fameux Club où ton regretté père m’avait promis un week-end pour nos noces d’Emeraude* ... Non, ma biche ? »
La fièvre de la gamine monta, un « déplacement professionnel urgent » m’aida à desserrer le piège mortel ...   

Regardez bien autour de vous, la perte des repères est si prégnante* que vous aurez dix fois par jour l’occasion de placer opportunément ce dicton.


5       fréquenter des gens intéressants

« li ma ya3red 3lik lel mayda ou may 3allmek faïda, ma3riftou zayda »

Textuellement : « celui qui, ni ne t’invite à sa table ni ne t’apprend rien d’utile, sa fréquentation est superflue (le connaitre ne sert à rien) »

Ah ! Le bon sens paysan, si concret ! Ben oui, c’est-y pas vrai mon brave ? Ça servirait à quoi de perdre son temps avec quelqu’un qui ne te régalerait pas les papilles de bons petits plats et ne t’enrichirait l’esprit d’aucun savoir utile ?

Interprétation : « Quiconque ne nourrit ni ton ventre ni ton esprit ne sert à rien »

Sous réserve d’élargir quelque peu, je serais presque d’accord, et je le clame depuis des lustres. Le meilleur de mon temps privé, j’aimerais ne le consacrer qu’à 6 catégories de personnes :
·        celles que j’aime
·        celles qui ont besoin de moi
·        celles qui enrichissent mon esprit
·        celles qui m’émeuvent
·        celles qui me donnent du plaisir
·        celles qui me font rire, ou me distraient

« Pas très original » entends-je ricaner ? Oh ! Que si : j’ai la tête saturée de gens proches de moi et dont je ne peux dire, hélas, ni que je les aime vraiment ... ni qu’ils ont ... ni que ...  

Pour ce qui est de mon temps public, je suis bien obligé de « faire avec » toutes les autres.


6       vos confidences se retourneront contre vous

ya li m3awed srayrou, ya li m3ayer bih

Textuellement : « ô toi qui confies tes secrets, sache qu’ils seront utilisés pour te diffamer »

En clair : ne vous dévoilez qu’avec la plus extrême prudence, fût-ce sur l’oreiller, car vos confidences se retourneront un jour contre vous ; vos confidents les divulgueront et s’en serviront pour vous nuire, vous salir ou vous moquer.


7       des Bonnes Actions qui ne servent à rien

“bhal lehçana fe wlad lihoud, la ajer wa la mout3a”

Textuellement : « C’est comme de couper les cheveux aux enfants des juifs : ce n’est ni une B.A. au sens religieux, ni une affaire »

Dans notre vieux Maroc, la petite minorité juive a toujours vécu tranquillement et librement ses spécificités, ses traditions, ses rites et sa religion aux côtés de l’immense majorité musulmane et un peu en marge de cette dernière ; mais il ne se notait quasi nulle part de véritable sentiment de ségrégation.
Nos barbiers, préposés à la coupe des barbes, des cheveux et autres prépuces*, avaient coutume d’acheter quelques « bons points pour le paradis » en circoncisant ou coiffant gratuitement (ou pour un salaire symbolique et dérisoire) les plus pauvres des garçonnets musulmans. Ces Bonnes Actions caritatives ne pouvaient donc pas prendre vraiment tout leur sens au profit de déshérités non-musulmans, mais elles profitaient malgré tout très couramment à des juifs nécessiteux, les deux communautés étant séculairement unies par une grande convivialité réciproque et de multiples liens affectifs.

Pour autant, nos malicieux barbiers ne se faisaient guère d’illusions : en contrepartie de leurs actes charitables au bénéfice de ces compatriotes « à part » farouchement attachés à leur propre culte, ils n’escomptaient ni « bénéfice dans l’au-delà » (ajer) ni, encore moins, la moindre retombée sonnante et trébuchante « sur terre » (mout3a), tant les juifs avaient ici depuis toujours une tenace et formidable réputation d’avares.

En résumé, quand un barbier arabe rasait le crâne d’un jeune juif impécunieux*, il le faisait consciemment en pure perte, sachant par avance qu’il n’obtiendrait ni salaire, ni compensation en nature, ni bon point pour le paradis.

L’adage se mit donc à courir sur toutes les lèvres pour exprimer l’amertume, la résignation ou l’autodérision chaque fois qu’une action quelconque tournait mal ou ne rapportait rien de bon à son auteur : mauvaise affaire, aide à un proche ingrat etc.


8       oh ! ces gens qu’on n’a vraiment aucune envie de voir  (-12 ans)

« li ma tebgui tchouf wejhou hetta fel mnam, kay werrik tremtou fel hemmam »

Textuellement : « celui dont tu n’as pas envie d’apercevoir le visage, fût-ce en rêve, te montre ses fesses au hammam »

La bienséance l’interdit mais il me semble légitime de parler plus prosaïquement : « Je ne supporte même pas de voir sa gueule, fût-ce en rêve, et il vient m’exhiber son cul au hammam »   
 
Quelle jolie parabole* pour se plaindre des chieurs et des importuns !

Si ça ne vous est pas déjà arrivé, c’est que vous êtes très chanceux ou très jeune ; mais n’en doutez pas, ça vous arrivera, à moins que vous ne soyez un ermite ou un saint.

Le hammam, bain public dit turc dit maure, est chez nous une tradition millénaire ; quasiment personne n’avait jadis les moyens de faire couler autant d’eau chaude à domicile. Cette coutume perdure aujourd’hui de façon vivace et même les plus nantis peuvent rarement se passer de leurs séances de toilettage dans ces SPA préhistoriques qui prolifèrent sous maintes formes, des plus luxueuses et raffinées aux plus basiques et populaires. Car ici, faut le dire Madame, tout le monde ou presque est propre, et donc chacun doit trouver chaussure à son pied et à sa bourse.
Hommes, femmes et enfants affluent donc régulièrement aux bains maures pour se faire vigoureusement masser et décrasser (je devrais dire désarticuler et décaper) par d’énergiques masseurs(ses), ces forçats* ambigus de la corporation professionnelle la plus indestructible du monde arabo-musulman ; véritables artistes de la trituration, de la savonnette et du gant-grattoir sur lesquels ni la retraite d’Andalousie, ni l’ascension sur la lune, ni la crise, ni le chômage, ni les talibans, ni la mondialisation, ni les importations chinoises n’ont jamais eu le moindre impact ! Un peu notre « plus vieux métier » à nous ...

Revenons à l’adage.
Vous connaissez tous au moins une personne que vous n’avez aucune, mais aucune, envie de croiser : soit que vous ne l’aimiez pas, soit que vous lui deviez de l’argent, soit que sa compagnie vous soit insupportable, soit qu’elle vous saoule, soit que vous ayez « omis » de la rappeler après son 57ème coup de fil, soit que vous vous soyez caché d’elle les 15 dernières fois qu’elle a toqué à votre porte pour s’inviter au café chez vous, soit qu’elle vous soumette un problème nouveau chaque fois que vous la croisez, soit qu’on n’arrive plus à la faire partir quand elle est là, soit qu’elle ne présente tout simplement aucun intérêt, soit qu’elle porte malheur (wjeh en nehs*), soit qu’elle vous rappelle de mauvais souvenirs ... et que sais-je encore ! Qui de vous n’a pas ça en rayon ?

Eh ! bien, cette personne, que vous aviez donc réussi à éviter, chez vous, dans la rue, dans les soirées ou au boulot, au prix de mille stratagèmes, mensonges à répétition et dérobades, cette tronche dont la vue vous indispose ... quand vous irez au hammam - et qui ne va pas au hammam - ... devinez quoi ? Ben, elle sera là bien sûr ! Et malgré la pénombre, malgré le voile de buée qui floute cette agglomération de corps avachis ou déambulant tels des fantômes porteurs de seaux et de trousses, le fâcheux* vous reconnaitra en un éclair et, chaleureux ou réprobateur, fondra sur vous, pareil à un batracien* dégoulinant de sueur, prêt à vous étreindre et à gâcher le moment de détente auquel vous aspiriez. Impossible de lui échapper !  
Et là, comme dit notre adage, ce n’est pas sa seule figure* qu’il vous mettra alors sous le nez mais bien toutes ses chairs à nu et ... son postérieur efflanqué* ou adipeux* sur lequel se mélangent et se confondent poils et petits vermicelles de crasse. Obligé de vous farcir ad nauseam* ses reproches, ses effusions, ses embrassades mouillées et ses attouchements, vous regretterez vite de l’avoir si efficacement évité « à l’air libre ». Vous aviez remporté maintes petites victoires, vous venez de perdre la guerre.
Ah ! Oui, en prime de ce martyr et de la chaleur suffocante, vos échanges bénéficieront de toute la discrétion voulue : j’ignore si vous l’avez déjà remarqué mais le fâcheux* a souvent le verbe haut. Et dans un hammam, l’hygrométrie*ambiante, le vide mobilier et le carrelage des cloisons démultiplient l’effet d’écho, lequel se conjugue à la réverbération pour amplifier les sons et les renvoyer de toutes parts ; l’inconnu tapi dans son coin et qui vous observe sournoisement en fondant et se desquamant*, ne perdra une bribe de l’historique confrontation ... Si par malchance vous étiez comme moi sensible au bruit, alors ce serait la double peine car au-delà d’une demi-heure de conversation, vous serez bon pour l’audioprothésiste et l’oreillette.  

Voilà ! La totale, quoi ! Et ce sera bien fait pour vous, car ça vous apprendra à aimer votre prochain, à ne plus mentir et à cesser de vous défiler quand de braves gens recherchent votre compagnie.
Mais au moins, ce sera fini, et vous pourrez recommencer à circuler sans appréhension.

Moralité : les importuns et les emmerdeurs, c’est comme le fisc, la justice, les épidémies et votre épouse ; aussi longtemps que vous parveniez à leur échapper, c’est toujours pire quand ils vous rattrapent.


9       Radin, radin, radin !

« kay fçi (hzeq) we yekhaf yejou3 »

Textuellement : « Quand il pète, il craint que ça ne lui donne faim »

Donc, notre grippe-sous est si pingre, si avare, si chiche, si ladre qu’il suffit d’un gaz s’échappant de son arrière-train pour que la panique s’empare de lui comme s’il se sentait déposséder d’une partie de la nourriture emplissant son ventre !
Oui, ça existe, et plus couramment qu’on ne veut bien se le dire.

Une précision tout de même, juste pour souligner la finesse sémantique* de ce gracieux adage* : en dialecte marocain, « hzeq » signifie plutôt émettre un gaz bruyant, voire tonitruant, tandis que « fçi » doit être traduit, en bon français, par « lâcher une vesse* », c’est à dire expulser une flatulence parfois pestilentielle mais toujours sournoisement silencieuse.
Dans ce « Sons et Odeurs » imagé, respectons donc la hiérarchie nuancée qui obsède notre harpagon : il lui suffit, pour s’angoisser, du plus infime et imperceptible échappement.


10  un boudeur sachant bouder

“ghedban we kay nech (chiyyech) 3la 3chatou”

Textuellement : « il boude son dîner tout en chassant les mouches qui tournaillent au-dessus »

Celui-là, c’est pour ma pomme, et je dois à la vérité de le reconnaitre publiquement : je fus un grand boudeur devant l’Eternel !

Mon enfance souffreteuse* m’a laissé le souvenir d’un long martyr gentiment mais constamment jalonné de punitions iniques*, d’injustices flagrantes, d’agressions gratuites et autres vexations à répétition. Que faire à 4 ans, à 10 ans, ou même à 15, pour se défendre contre l’arbitraire et l’aveuglement cruel d’adultes que vous craignez, respectez et aimez ... mais qui vous briment sans relâche en usant et abusant de leur autorité ? ... Vous, je ne sais pas, moi, je  boudais !
J’ai donc vite excellé dans le repli stratégique, cette attitude d’autodéfense dont je suis devenu, « par la faiblesse » de mes moyens, une sorte de virtuose, moqué mais reconnu, et un champion toutes catégories.

N’adresser la parole à personne, faire mine de ne même pas écouter les commentaires vaseux de mes tortionnaires, déjouer et refuser leurs manœuvres en vue d’une réconciliation ou demeurer sourd à leurs mea culpa* hypocrites, sont donc très tôt devenus les armes de ma guérilla psychologique. Sauf que l’efficacité d’un tel arsenal ne pouvait s’accommoder d’aucune contradiction ni concession : pas question donc de m’attabler avec l’ennemi et, comme si de rien n’était, partager avec lui la convivialité des savoureux repas de famille ... On boude ou on ne boude pas !

Et c’est ainsi que, bien qu’handicapé par un solide appétit et une grande gourmandise, je fus, la mort dans l’âme, contraint d’ajouter à ma panoplie de boudeur conséquent* ... le droit de grève alimentaire !
Or croyez-moi, pour un gamin, une grève de la faim était plus facile à décréter qu’à endurer ! Le fumet traditionnel d’un somptueux couscous, la vue apéritive* d’un tagine de kefta* émaillé* de jaunes d’œufs à peine opacifiés, l’inhumaine odeur de gibier s’échappant d’un énorme gratiné de spaghettis aux perdreaux, les relents fruités et légèrement amers d’un ragoût d’agneau aux artichauts sauvages baignant dans son épaisse sauce safranée, l’arrivée en fanfare d’un vrai flan glacé tremblotant sous son coulis de caramel, tout ça et tant d’autres merveilles concoctées par l’amphitryon* du foyer, que l’on ait 10 ou 100 ans, ça n’était pas facile à repousser d’un air détaché. Il en fallait du chagrin pour en arriver là, et du cran pour s’y tenir ! La résistance eut été tellement plus facile avec les surgelés immondes de certaines mères d’aujourd’hui, leur mangeaille* « diététisée » à la vapeur à peine salée, leurs reconstitutions de soupes et desserts lyophilisés*, leurs salmigondis* innommables et autres tambouilles* indéfinissables et rebutantes.
Mais « à la guerre comme à la guerre » ! Il y a les héros et il ya les lâches.

En attendant qu’on le cajole suffisamment pour qu’il accepte de s’alimenter sans perdre sa dignité, un boudeur sachant bouder ne doit pas insulter l’avenir ; il ne doit exprimer ses refus que du bout des lèvres, sans violence, sur un mode victimaire, et ne pas les multiplier exagérément sous peine de susciter la lassitude de ses suppliants. Enfin et « last but not least* », dès qu’on semblera ne pas lui prêter attention, le bon boudeur veillera à chasser discrètement les mouches susceptibles de souiller le repas qui torture ses papilles et sur lequel ... il ne tardera guère à se jeter.
C’est ce qu’exprime laconiquement* ce malicieux dicton en dévoilant et surlignant bien « la faille » qui trahit le mauvais boudeur.


auteur : Camal Elmili Hamayed

copyrights et tous droits exclusifs réservés à l'auteur & à MOSALYO
reproduction interdite
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*        « Avec le Temps » : succès commercial planétaire de Léo Ferré, anarchiste engagé et artiste majuscule, irremplaçable. A fondre de plaisir ! Innombrables interprétations pitoyables –
Si vous avez déjà vécu une rupture douloureuse, tendez l’oreille et sortez vos mouchoirs http://www.youtube.com/watch?v=aiXcUTTLud4&feature=player_detailpage


ou pour rire, par Sapho (en arabe)

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*        « Le Chant des Partisans » : chanté, sifflé ou fredonné, c’est l’hymne impérissable et mondialement connu de la Résistance Française ; paroles superbes, orchestration sobre, chœurs ébouriffants. Des milliers d’interprétations en plusieurs langues, des plus ridicules aux plus inoubliables.


et le standard d’Yves Montand (avec texte)
http://www.youtube.com/watch?v=5dULBaDtuqY&feature=player_detailpage    


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petit dico rapide pour les jeunes (et pour les non-arabophones)

·        débardeur : porteur de marchandises
·        portefaix : porteur de fardeaux
·        sommer : ordonner sèchement
·        nabab : homme très riche
·        « casser sa pipe » : mourir
·        « âge canonique » : très avancé
·        fiel : amertume, haine
·        quolibet : raillerie méchante
·        freluquet : jeune homme chétif, frêle (un minus)
·        rombière : femme d’âge mûr, prétentieuse et ridicule 
·        nonagénaire : qui a 90 ans
·     Meetic : no 1 mondial des sites de rencontre sur internet
·        mendigot,ote : mendiant
·       farfouille : boutique bon-marché où le client farfouille sans ménagement dans des monceaux    de fringues soldées 
·      Vuitton : porte-monnaie de plage pour enfant : à partir de 9999 $ seulement en soldes d’hiver, dernier modèle disponible en farfouilles locales pour 20 dhs négociables  
·      sabir : jargon formé de plusieurs langues
·      péquenot (aud,e) : péjoratif de campagnard
·      jeunot,otte : jeune sans expérience
·     ravaler : ici, accepter quelque chose sans manifester ce qu’on ressent
·    cougar : néologisme américain désignant les femmes qui prennent pour amants des hommes beaucoup plus jeunes qu’elles
·     noces d’émeraude : célébration de 40 ans de mariage
·     prégnant,e : évident, prédominant par rapport à tout le reste
·     prépuce : peau qui entoure le gland de la verge et que la circoncision supprime
·     impécunieux,euse : qui n’a pas d’argent
·     parabole : récit contenant un enseignement, une vérité
·     forçat : bagnard condamné aux travaux forcés – Au fig. gros travailleur infatigable
·    « wjeh en nehs » : expression dialectale correpondant à « oiseau de malheur » ou « de mauvais augure »
·    fâcheux,euse : importun,une
·    batracien : famille de la grenouille
·    efflanqué : décharné sur les flancs
·    adipeux,euse : gras
·    « ad nauseam » : locution latine, « jusqu’à la nausée »
·    hygrométrie : degré d’humidité
·  desquamer : débarrasser la peau de ses squames, cellules mortes
·    sémantique : qui a rapport à la signification d’un terme
·    adage : proverbe, maxime, dicton
·    souffreteux,euse : qui a l’air en mauvaise santé,  un peu souffrant
·    inique : très injuste
·  « mea culpa » : loc.latine pour reconnaitre « c’est ma faute »
·   conséquent,e : cohérent, logique
·   apéritif,ive : qui ouvre l’appétit
·  kefta : viande hachée, (ici) préparée en boulettes et en sauce
·  émaillé : orné, paré, parsemé, constellé
* amphitryon : qui vous reçoit à dîner, maîtresse de maison
·  mangeaille : nourriture destinée aux animaux
·  lyophilisé : ils retirent toute l’eau, ça fait une poudre, et vous en remettez à la maison, ça fait une soupe, ou du lait ...
salmigondis : ragoût de viandes disparates et réchauffées
*   tambouille : cuisine de mauvaise qualité
*  « last but not least » : expr. anglaise, “en dernier mais non le moindre” 
*  laconiquement : d'une manière brève

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